CHALIX

 

Les deux vies d’un moulin

(1832-2022)

 

 

Première vie : naissance d’un moulin céréalier qui fonctionne 23 ans,puis passe de main en main, est vendu aux enchères, avant d’être laissé à l’abandon (1833-1922)

Le premier cadastre instauré en France par Napoléon (1808) montre clairement l’état des lieux à cette date : on ne voit bien sûr que la boucle de l’ancienne route qui reliait Journans à Revonnas, en longeant le lavoir, et qui subsiste encore.

 

Plus rien en revanche ne rappelle que, tout près de là, existait depuis le XVIème siècle une chapelle gothique consacrée à Notre-Dame, et qui abritait La Pietà dont nous conservons encore une copie à l’église Saint-Vincent. En très mauvais état depuis bien longtemps, elle a été vendue à la Révolution à un habitant du village, comme « bien national », et ses pierres ont probablement été réutilisées dans certaines constructions du village.


Coupant la route, le ruisseau de Chalix naît 200 m plus haut au pied de la colline, poursuit à travers les prés, pour rejoindre la Reyssouze 2,9 km plus loin, dans la commune de Montagnat.Aucun bâtiment n’apparaît sur ce premier plan cadastral.


Sur ce nouveau cadastre de 1843 on voit bien en revanche un bâtiment allongé (petit tracé rouge); le cours de la rivière a été légèrement modifié, et un canal direct creusé à main d’homme pour créer la chute d’eau nécessaire. Il y a donc désormais un troisième moulin à Journans, et ceci depuis plusieurs années.

 

 

 

1832 Tout a commencé à cette date. Un habitant de Boisseroles, Georges Barrachin demande une autorisation de construire sur un terrain qui lui appartient, le « Pré-Guerry », traversé par le Chalix. Il veut établir là un moulin hydraulique à céréales (appelé aussi moulin à deux artifices, l’un pour le blé, l’autre pour les menus grains). Le dossier se monte. L’ingénieur des Ponts et Chaussées de l’arrondissement de Bourg procède à diverses consultations auprès des habitants de Journans et des autorités. Il se déplace sur le terrain pour vérifier la faisabilité de l’ouvrage. Son étude porte notamment sur la construction d’un canal d’amenée d’une largeur de 3 m environ, d’une longueur de 374 m, surélevé de 1,31 m pour permettre une chute d’eau de 2,83 m ainsi que la construction d’un canal de fuite (déversoir).


18 juillet 1832 L’ingénieur donne un avis favorable à la construction d’un moulin à céréales à deux
tournants, soit 2 meules.


12 janvier 1833 Une décision préfectorale autorise la construction du moulin de Chalix.

 

Le fonctionnement du moulin hydraulique à céréales
La conception de ce moulin correspond aux principes
généraux de construction des moulins hydrauliques de
notre région : une retenue (ou bief) surélevée a donc été
construite pour constituer une réserve d’eau afin d’assurer
un débit fort et constant et 2 vannes ont été installées : l’une
pour faire tourner la roue et l’autre assurant la fonction de
canal de décharge ou déversoir pour réguler le niveau de
l’eau dans le bief.


Description de la machinerie du moulin hydraulique (ou à eau) à céréales
Le moulin à eau ou moulin hydraulique est une construction complexe située sur un cours d’eau. La force motrice de l’eau est transformée en énergie qui permet la mise en mouvements de différents appareils utiles au fonctionnement.
Dans le cas du moulin à céréales, la force de l’eau permet la mise en action du système de fabrication de la farine : la meule supérieure écrase le grain surla meule inférieure.


 

1833-1834 Construction des bâtiments et travaux d’aménagement du ruisseau de Chalix. Georges
Barrachin et sa famille exploitent le moulin à céréales pendant 23 ans.

 

1857 Vente du moulin. Les propriétaires successifs (Philibert Arod en 1857, puis Joseph Bredy) ainsi que les différents locataires (Joseph Vulin, meunier de 1861 à 1866 et Georges Vieudrin) continuent d’utiliser le moulin de Chalix comme moulin hydraulique à céréales (les cultivateurs des environs apportent leurs récoltes et récupèrent leur farine). A une date non précisée, une batteuse fixe (qui reçoit les gerbes et sépare en amont la paille du grain) vient compléter l’activité du moulin. Elle a été installée dans une pièce contiguë à la maison d’habitation, qui existe toujours : il en est fait mention dans l’acte de vente ultérieur de 1904 (voir plus bas).


1883 Le bâtiment, qui appartient alors à Jules Gay, n’est plus utilisé comme moulin à céréales, mais comme scierie hydraulique (les différents matériels et installations de sciage sont donc activés par la force de l’eau).


1904 La propriété de Chalix, vendue aux enchères le 5 juillet, est acquise par Marius Gaudin. Mais le nouveau propriétaire n’exploite aucune des installations. Le bâtiment restera inutilisé dix-huit ans durant … jusqu’à ce qu’une autre famille de Journans, elle aussi nommée Barrachin (mais apparemment sans lien direct avec le premier propriétaire), ne lui redonne une nouvelle vie !

 

 

Seconde vie : la scierie d’Arthur Barrachin (1922- 1951)

Sur cette photo (prise devant la partie Satin de la maison Satin-Olivier, où
ils ont habité plusieurs années avant l’installation à Chalix), on voit le couple Barrachin et ses deux enfants : Arthur (qu’on appellera toute sa vie Charles, son deuxième prénom) est né à Journans en 1883, quatrième et dernier enfant de Jean-Marie Barrachin, menuisier, et d’Anne Popier.

 

Il s’est marié en janvier 1908, avec Fanny Vallot, une jeune Lyonnaise, que sa famille plaçait enfant dans la famille Berger, voisine des Barrachin, pendant les vacances scolaires. Deux enfants sont nés, Marguerite Gabrielle en 1908, Sylvain Marius en 1910. Le couple vit désormais dans une partie de la maison Satin-Olivier (lieu de la photo) où Arthur est vigneron, puis chef vigneron , et Fanny cuisinière et femme à tout faire.

Certes, Arthur s’occupe des vignes, mais ce qu’il aime, c’est le bois et il a des « doigts d’or » ! En témoignent ces jouets, la petite ferme trouvée dans le grenier de la maison Olivier, l’armoire de poupée à Chalix, de nombreuses étagères, pour ne donner que quelques exemples.


Au centre, la petite armoire de poupée : la photographie de droite montre l'armoire restaurée par Eric Genet, ébéniste à Journans.
Elle a retrouvé une nouvelle jeunesse, toutes les queues des cerises ont été restaurées ! Un beau résultat..

 

1914 Arthur part à la guerre et reste mobilisé durant 5 ans. Il a été principalement convoyeur à cheval (attelage de 4 chevaux) pour le ravitaillement alimentaire des troupes engagées au front. Pendant toute cette période, Fanny, toujours au service de la famille Satin, a dû compléter ses revenus pour faire vivre sa famille en confectionnant des tenues pour les soldats.


1919 Arthur revient de la guerre malade et épuisé tant physiquement que moralement. Le retour est vraiment très difficile. Les vignobles ont été abandonnés pendant 5 ans et ne sont plus exploitables. Si les Barrachin sont encore chez la famille Olivier en 1921, tout change l’année suivante, avec l’acquisition du moulin de Chalix que Marius Gaudin met en vente.


1922 « La propriété rurale comprend des bâtiments d’habitation et d’exploitation, une chute d’eau, une scierie, une machine à battre, une machine à vapeur, sol, cour, jardin, prés et terres (2 hectares 16 ares) » peut-on lire dans l’acte de vente signé le 31 mars chez Maître Paccot à Bourg. Mais l’acte mentionne dès la phrase suivante l’état de vétusté et d’abandon du moulin et du
matériel : « Il est cependant noté que les machines sont hors d’usage et le matériel de la scierie très ancien et sans valeur ». Bref, il va falloir du courage !
La famille s’installe en mai 1922 à Chalix et travaille avec acharnement, avec des moyens rudimentaires et sans aucun confort, dans le moulin en mauvais état. Ils réhabilitent les installations, notamment la scierie hydraulique pour le sciage de long du bois. Les équipements sont renouvelés petit à petit pour certains et améliorés pour d’autres. Le travail consiste notamment à débiter de longues pièces de bois pour obtenir des planches, plateaux, poutres, chevrons, etc…

 

Description de la machinerie de la scierie hydraulique

  • d’une roue à auge = moteur hydraulique
  • d’un arbre à transmission, d’engrenages et/ou de courroies)
  • d’une scie battante pour le sciage de long,
  • d’un banc de sciage

Un parc à grumes était en extérieur.
Le bâtiment comprend un sous-sol maçonné destiné à supporter la machinerie et à la protéger du cours d’eau voisin, surmonté d’un hangar en bois abritant la halle de sciage. Les machines sont donc indissociables de l’environnement : cours
d’eau, canal d’amenée, canal de décharge, réservoir et topographie du site (débit).


 

Arthur Barrachin travaille principalement pour la menuiserie/ébénisterie MORELAB de Bourg-en- Bresse, mais aussi pour tous les particuliers qui ont des grumes de bois à scier (charpentes, constructions, fabrication de meubles, … et aussi fabrication de cercueils !)


1927 L’électricité arrive au hameau de Chalix. La famille Barrachin peut faire l’acquisition d’un moteur électrique qui facilite grandement le travail de sciage de long. La vie de la famille en est considérablement transformée. Mais pour l’eau en revanche (il faudra attendre les années 70 pour qu’un conduit amène l’eau de la source jusqu’à la maison, et les années 80 pour que Chalix soit raccordé au réseau), c’est encore compliqué : pour les usages courants, on prend l’eau du Chalix dans le déversoir, mais pour l’eau potable, il faut encore aller la chercher à la source, au-dessus du lavoir.

Sylvain, fils d’Arthur, travaille désormais avec son père comme ouvrier à la scierie.


1932 Mort brutale de Sylvain, à 22 ans, dans un accident de moto. Outre le drame de la mort d’un fils, Arthur perd celui qui faisait fonctionner la scierie avec lui et qui pouvait assurer sa succession.


1951 Après trente-trois ans de travail à Chalix (on disait alors « Chaly »), Arthur cesse son activité
de scieur de long. Il a alors 68 ans.


1970 Arthur signe la cession d’une partie de son terrain pour « rectifier » l’ancienne boucle du chemin vicinal et établir une liaison droite sur cette portion de route qui mène à Revonnas.


1971 Mort d’Arthur.

 

 2022 Vue « google » actuelle de Chalix, devenu un hameau avec la construction déjà ancienne de deux maisons d’habitation (qui appartiennent à deux autres petits-enfants d’Arthur), et l’installation d’ERCM, une entreprise de charpente. L’eau et le bois, toujours ...
Le bruit de la scie d’Arthur ne se fait plus entendre depuis 70 ans.
L’eau du Chalix n’est plus force motrice depuis presque un siècle, mais elle continue de faire partie intégrante de la vie de la famille. Elle traverse toujours la propriété, en passant sous l’ancienne scierie, et on ne peut imaginer Chalix sans le bruit de sa rivière. Par temps de forte pluie d’ailleurs, il faut toujours se tenir prêt, même en pleine nuit, à aller lever « les pelles » (les vannes) pour éviter l’inondation !


La « maison-mère » a continué d’être habitée sans interruption, par une, deux, parfois trois générations réunies, quand les aînés vieillissaient, que les enfants naissaient , pour les vacances scolaires aussi et les réunions de famille.
Cet été 2022, pour fêter les 100 ans de présence de la famille Eme à Chalix, 4 générations se sont trouvées réunies : l’« aïeule », ses 3 enfants et leurs conjoints, ses 7 petits-enfants et leurs conjoints, ses 11 arrière-petits-enfants, bref une petite tribu de 32 personnes.


« A Chalix, à la vie ! »                                                         Famille Eme avec la collaboration d’André et Jeannine Abbiateci


CHALIX - La chapelle

La chapelle de Chalix a été fondée au début du XVIème siècle par la famille de Genoud, de Certines. Comme beaucoup d’autres chapelles de cette époque où se succèdent les vagues de peste, elle est dédiée à Notre-Dame de « Pitié » et abrite une Pietà (statue de Marie tenant son fils mort contre elle) : on vient la prier de protéger les habitants de ce danger mortel. Dans un texte notarié de 1670, il est précisé que la chapelle est entourée d’un petit cimetière (sans doute pour les morts
de la peste).


Voici un dessin qui montre à quoi pouvait ressembler cette construction gothique, un plan, et la photo d’un « claveau » (pierre taillée en coin, utilisée pour les voûtes), prise à la fin des années 70, claveau qui pourrait bien provenir de la chapelle. Nous savons aussi qu’elle mesurait à peu près 5m /8m, à peine moins que St-Valérien. Elle était déjà signalée « toute ruinée et découverte et les portes ôtées » en 1613, même si les fêtes de Notre-Dame y étaient encore célébrées.

Elle fut définitivement interdite au culte en 1770. La Pietà avait déjà été transférée à St-Valérien.Transmise jusqu’à nous, en piteux état, elle a pu être sauvée et restaurée en 1996 par les Amis de Saint-Valérien, à l’initiative de leur président, Robert Pastuglia. Elle est à présent à l’abri, mais nous en avons encore une copie à l’église Saint-Vincent.

 

Article rédigé par André et Jeannine Abbiateci